Dans cet épisode d’Histoire de Foot, Charles Itandje déroule plus de vingt ans de carrière de gardien pro, sans filtre et sans langue de bois : Lens, Liverpool, la sélection du Cameroun, la Grèce, la Turquie, les primes, les présidents ingérables, les transferts cassés à la porte de l’aéroport, la dépression, puis la reconversion comme entraîneur des gardiens à Versailles. Il raconte comment le foot a d’abord été une sortie de secours, comment Lens l’a construit humainement, comment Liverpool l’a broyé médiatiquement, et comment le Cameroun l’a remis debout sous la pression d’un pays entier.​

Versailles aujourd’hui, le National comme laboratoire

L’épisode s’ouvre sur le présent : Itandje est aujourd’hui entraîneur des gardiens au FC Versailles, ambitieux pensionnaire de National qui rêve d’aller chatouiller la Ligue 2. Il décrit un championnat très difficile, une division sous-estimée où tombent d’anciens grands clubs, et la nécessité de structurer un projet (stade, budget, professionnalisation) pour espérer monter. Jouer au Camp des Loges à Saint-Germain-en-Laye, faute de stade aux normes à Versailles, illustre bien ce côté “club en construction”, entre humilité et grosses ambitions.​

Enfance, banlieue et foot comme échappatoire

Itandje revient ensuite sur son adolescence en région parisienne, où le football n’est pas d’abord un rêve de gloire, mais une vraie porte de sortie. Il évoque le premier adulte qui lui dit frontalement “tu peux le faire”, ce qui lui donne le déclic pour baisser la tête, s’entraîner, et traiter le foot comme une opportunité sérieuse. Très vite, il progresse en structure, s’impose dans les catégories jeunes et comprend qu’il a les outils – physiques et mentaux – pour devenir gardien de haut niveau, inspiré notamment par Bernard Lama.​

Lens : club populaire, pression maximale, formation d’homme

Son arrivée au RC Lens marque un tournant : il découvre un club de peuple, avec un stade qui fait peur, des derbys bouillants et un effectif très costaud physiquement et mentalement. Il explique que cette équipe “faisait peur” à l’époque, tant par sa puissance que par l’intensité des matches à Bollaert, et que Lens reste dans son cœur comme le club qui l’a construit et fait grandir.​

Là-bas, il apprend à tenir la barre sous pression, à enchaîner les saisons, à devenir un vrai numéro un dans un environnement exigeant mais humain, loin du glamour anglais qui l’attend plus tard.​

Essai en Angleterre, Everton… et la signature à Liverpool qu’il ne voulait pas

Itandje part ensuite en Angleterre pour un essai : il découvre immédiatement la violence du travail spécifique gardiens, avec des séances où Tim Howard le mitraille sans pitié dès l’échauffement. On lui donne un billet d’avion pour s’entraîner avec Everton… mais il finit par signer à Liverpool dans la foulée, un des plus grands clubs du monde.​

La punchline est brutale : “Est-ce que tu es heureux ? Non, pas du tout.” Il confie qu’il ne voulait pas signer là-bas, préférant un club de milieu de tableau comme Palace ou West Ham pour jouer, faire ses preuves, puis viser plus haut, au lieu d’accepter un rôle de numéro deux derrière Pepe Reina sans temps de jeu. Il rappelle aussi qu’il ne quitte pas Lens par choix, mais parce qu’on lui fait comprendre qu’il doit partir.​

Vestiaire de Liverpool : clans, froideur et choc culturel

À Liverpool, Itandje découvre un vestiaire où 80% de l’effectif est espagnol, avec des clans, une hiérarchie figée et un Pepe Reina intouchable. Il raconte son premier entraînement collectif : après un arrêt, il place les joueurs sur corner, demande calmement à Xabi Alonso de confirmer son positionnement… et se fait répondre d’un “Yeah yeah yeah yeah” méprisant qui le tend immédiatement.​

Il attrape Alonso dans le vestiaire pour lui demander un minimum de respect, mais ce dernier lui tourne simplement le dos. Pour Itandje, c’est la première claque culturelle : un vestiaire froid, peu accueillant, où personne ne te tient la porte ni ne te donne l’heure, loin de l’image romantique du “great British dressing room”. Il insiste aussi sur le contraste entre la stature tactique de Rafael Benítez et un volet humain quasi inexistant.​

La polémique de Liverpool : incompréhension, menaces de mort et chute mentale

L’un des passages les plus forts de l’épisode concerne la polémique liée à une commémoration à Liverpool (en toile de fond, l’affaire Hillsborough). Lors d’une cérémonie, une caméra le filme en train de sourire et de parler à un coéquipier pendant qu’un chanteur interprète un chant symbolique. Il explique que la phrase qu’il prononce alors évoque simplement “la chanson du vestiaire”, sans intention de se moquer ni de manquer de respect.​

Pour la ville, cela ne passe pas : il reçoit des menaces de mort, devient une proie facile pour les médias, et admet qu’il n’a pas mesuré à quel point cette date et ce moment étaient sacrés pour les supporters. Vingt ans plus tard, il en parle encore avec émotion, conscient d’avoir pu blesser des gens sans le vouloir, et marqué à vie par cet épisode qui va précipiter sa mise à l’écart et son isolement.​

Business du foot : transferts bloqués, lettres humiliantes et joueur “actif financier”

Après la polémique, le quotidien se transforme en survie. Itandje raconte un transfert quasi acté qui capote littéralement à la porte de l’aéroport : valises prêtes, agent à ses côtés, et coup de fil d’un dirigeant qui décide, au dernier moment, de ne plus le libérer. Il n’a pas joué depuis longtemps, sa valeur marchande a chuté, mais le club le retient malgré tout et lui demande même de s’entraîner seul, avec une lettre à signer attestant qu’il accepte cette situation.​

Il refuse, parle de traitement déshumanisant, et décrit comment, dans ce contexte, le joueur n’est plus qu’un actif sur un bilan comptable, sans dimension humaine. Ces expériences forgent chez lui une certitude : il ne sera jamais, comme entraîneur, quelqu’un prêt à “réussir à n’importe quel prix”.​

Grèce, Turquie : présidents surpuissants, hélicos et salaires cash

Son exil en Grèce puis en Turquie ouvre un nouveau chapitre, à la frontière entre film et documentaire. Il évoque des clubs où le président est une figure presque intouchable, où les convois se font en voitures blindées, où des hélicoptères survolent le centre d’entraînement, et où le chef de l’État appelle pour prendre des nouvelles de l’attaquant star après un match.​

Sur le plan matériel, il décrit des conditions d’entraînement souvent excellentes, avec des salaires payés en temps et en heure, voire en avance, loin de certains clichés. Mais la contrepartie, c’est une pression gigantesque, un climat parfois explosif et la sensation de jouer dans un environnement fascinant autant que dangereux.​

Cameroun : devenir numéro un sous le poids d’un pays entier

Avec la sélection camerounaise, Itandje vit un des grands sommets de sa carrière. Il doit d’abord convaincre un pays partagé entre lui et Carlos Kameni, sous l’œil critique des supporters et des médias. C’est lors d’un match de qualification couperet pour la Coupe du Monde qu’il gagne vraiment son statut de numéro un, dans un stade plein où chaque arrêt pèse plus lourd qu’un match de phase finale.​

Il explique que la Coupe du Monde est magnifique, mais que la vraie pression, “la chaleur”, se joue sur les matches de qualif, quand un pays entier se joue sur 90 minutes. Parmi ses souvenirs les plus intimes, il cite un match contre la Tunisie où sa mère, présente dans le stade, lui glisse un “je t’aime” qui le touche au cœur.​

Dépression, clinique et reconstruction

Face à l’isolement anglais et à la tempête médiatique, Itandje finit par dériver : soirées répétées, fêtes “plus que de raison”, alcool, puis entraînement le matin comme si de rien n’était. Il reconnaît que psychologiquement il était en train de “déconner”, refusant de voir qu’il allait très mal.​

C’est son avocate qui, un jour, lui dit frontalement “ça ne va pas” et l’oriente vers une clinique à Southampton, où il reste plusieurs semaines pour se soigner et remettre de l’ordre dans sa vie. Il parle de santé mentale de manière frontale, sans détours, et insiste sur l’importance d’être entouré de personnes capables de dire stop.​

Versailles et la transmission : former des gardiens… et des personnes

Aujourd’hui, au FC Versailles, Itandje se consacre à la formation des gardiens en capitalisant sur tout ce qu’il a vécu. Il insiste sur trois attributs clés à détecter très tôt : les qualités athlétiques, le courage (assumer un poste qui ne pardonne pas l’erreur) et l’intelligence situationnelle, notamment sur la gestion de la profondeur et des transitions.​

Au-delà de la technique, il veut transmettre une mentalité : savoir gérer la pression, comprendre que le foot est un milieu dur, mais ne pas se perdre en chemin. De la banlieue parisienne à Liverpool, des hélicoptères turcs aux qualifs de Coupe du Monde, son parcours lui sert désormais de manuel vivant pour préparer les gardiens de demain à la réalité, pas à la carte postale.