Dans le paysage mouvant des agents de joueurs, Jibril Oualane s’est imposé – en quelques saisons seulement – comme un des visages neufs et marquants du métier. Fondateur de Wilders Sport en 2021, ce Marseillais de 31 ans revisite dans le dernier épisode du podcast Histoire de Foot les dessous du métier, ses valeurs et ses doutes, à travers la trajectoire de ses protégés : Othmane Maamma, meilleur joueur de la Coupe du Monde U20 2025, Ignatius Ganago, ou encore Abdoulaye Kamara, espoir d’Udinese. À contre-courant du business pur, il revendique une méthode humaine, patiente, et une relation de confiance aussi proche des familles que des joueurs eux-mêmes.
Dans un univers du football souvent caricaturé, l’histoire de Jibril Oualane surprend par sa sincérité et sa méthode artisanale. À 31 ans, ce Marseillais a fondé Wilders Sport sur une intuition : l’accompagnement humain, au quotidien, est plus fort que n’importe quelle transaction.
Marseille, ADN de passion et d’exigence
C’est à Marseille, ville volcanique où “le football contrôle les émotions”, que Jibril Oualane forge son regard. Dès l’enfance, il fréquente les tribunes du Vélodrome et expérimente cette instabilité émotionnelle : “Ici, la victoire efface tout, la défaite noircit tout.” Cette culture du plaisir éphémère du ballon et cette mémoire courte du supporter marseillais lui donnent le goût de la remise en question, qualité clé pour survivre dans les coulisses du football.
Si Oualane n’a pas eu de “carrière rêvée” comme joueur, il garde de ces années un souvenir simple : la joie de jouer avant tout, sans projet précis. Mais c’est aussi de là que vient ce regard lucide : “Avec le temps, tu dois passer de l’autre côté du terrain – j’ai dû stopper, mais c’était vraiment du plaisir, jamais un plan de carrière.”
Devenir agent : entre vocation et rencontres
L’agent de demain ne s’improvise pas : pour Oualane, la formation passe par “la pratique, 70% du travail.” Il faut comprendre le juridique, la fiscalité, mais aussi – et surtout – savoir bâtir des relations et accompagner mentalement. L’envie d’être agent naît petit à petit, avec l’impression qu’“il manque quelque chose dans l’accompagnement des jeunes.” Rapidement, il se retrouve à soutenir des adolescents de 14 à 16 ans, tout autant qu’à convaincre les familles de la juste place de chacun.
Sa méthode ? Examiner autant la personnalité du joueur… que la compatibilité familiale : “Une famille perdue, hors réalité, peut nuire à la carrière. Il faut juger la famille ET le joueur, comprendre que le talent seul ne suffit pas, et qu’il faut apprendre que tout ce que fait un jeune, même bien, peut rester moyen si le contexte ne suit pas.”
Wilders Sport : une agence pas comme les autres
Wilders Sport voit le jour en 2021, avec une promesse rare : un accompagnement quotidien, beaucoup plus que des signatures-clés. Oualane veut du concret, du sur-mesure, une proximité qui fait la différence. “Si je prends un joueur, c’est que j’y crois. Et si j’y crois, je me donne les moyens de le faire réussir – pas juste lors des moments forts, mais chaque jour, par les petits détails.” Le bonheur vient aussi d’une “relation naturelle, pas d’un costume et d’un masque” : chaque succès prouve la pertinence de cet ancrage humain.
Histoires de talents : patience, planification et vérités du terrain
Othmane Maamma : le diamant brut du Maroc
Le cas Othmane Maamma incarne la philosophie Wilders. À Montpellier, il explose rapidement chez les jeunes mais fait face à l’injustice : “Le coach ne faisait pas confiance aux jeunes, il fallait patienter et se battre.” C’est là que l’accompagnement trouve son sens : “On lui a appris que chacun a son heure et qu’il ne faut pas brûler les étapes.”
La saison du déclic : temps de jeu, maturité, puis explosion au Mondial U20, où il est sacré meilleur joueur. “On s’est rendu compte qu’il avait besoin d’une grosse structure : l’Angleterre, ce fut la très bonne décision – et le meilleur reste à venir”.
Ignatius Ganago : choisir la voie du jeu
La trajectoire de Ganago, de Lens à Nantes puis en MLS avec la New England Revolution, repose sur la volonté de toujours prioriser le temps de jeu et le projet sportif, pas l’effet vitrine. Ici, chaque détail est pesé : “On ne présente pas un joueur à tous les clubs. On élabore une vraie stratégie, une cible de clubs à démarcher.” Expérience, blessures, choix de projets : tout vise l’épanouissement sportif, pas la précipitation.
Abdoulaye Kamara : maturation à l’italienne
Avec Kamara, ex-pépite de Montpellier, l’objectif était clair : intégrer un projet professionnel, et non se retrouver perdu chez les grands d’Europe. “Le choix de l’Udinese, c’était une question de cohérence sportive : être dans le groupe pro tout de suite, même si c’est moins prestigieux financièrement, permet de poser des fondations.” Encadré par une famille solide, Kamara brûle les étapes sur tous les terrains… mais sans jamais brûler la sienne.
Ingrédients secrets du métier : transparence, transmission et pédagogie
Chez Wilders, la famille compte autant que le joueur. Oualane structure l’accompagnement autour de la pédagogie, la correction discrète des erreurs, l’écoute active des parents “pour régler les problèmes en interne.” Le plan : des objectifs courts termes, validés pour mériter le droit de regarder plus loin.
“Tu dois savoir juger la compatibilité, préparer une famille à la réalité : parfois, on refuse une offre alléchante pour un projet plus réaliste, même si ça fait grincer des dents”.
Son rôle ? Médiateur, grand frère, parfois “tampon” au moment des négociations complexes, afin de veiller à ce que le joueur se développe sans sacrifier l’humain ni la stabilité.
“Le métier d’agent va disparaître pour ceux qui ne sont que des businessmen. La longévité, la confiance, ça se construit sur des liens, pas sur des commissions.”
Cultiver la patience, bâtir dans la durée : conseils et routine d’un artisan
“Le meilleur conseil : être patient. Ne pas vouloir brûler les étapes, ne pas se comparer aux autres, apprendre à canaliser son énergie et accepter que la roue tourne.”
Oualane privilégie le faible nombre de joueurs suivis pour se concentrer sur la qualité – “ne pas rentrer dans la masse, c’est la clé”. Il s’appuie sur une approche collective, type “groupe anglais”, avec d’autres agents qui partagent la même philosophie, et chacun son petit portefeuille.
Pas de routine au sens strict : “Même après le mercato, tu restes sollicité. Il n’y a pas de période off quand on veut bâtir pour l’humain.”
Au quotidien, la vie entre les terrains, les cafés avec directeurs sportifs et coachs, le suivi individuel et la présence semaine après semaine : “C’est peut-être ça, la vraie réussite – rester proche de ceux qu’on a choisis d’accompagner, même sous les radars.”
Des deals, des sueurs et des leçons : les dessous du métier
Négociations, “tampon” entre clubs et familles, gestion des egos, anticipations des erreurs : Oualane raconte la part invisible du travail, ce qui fait la différence entre l’agent ordinaire et celui qui “sera encore là dans cinq ou dix ans.” Les erreurs existent, les bons choix ne sont pas toujours les plus rémunérateurs, mais l’essentiel réside dans la capacité à rester fidèle à ses principes : “On n’est jamais à l’abri d’être mis de côté, mais l’important, c’est d’avoir bâti quelque chose de solide, qui ne dépend pas du buzz ou du glamour”.