Dans le nouvel épisode d’Histoire de Foot, Matt Moussilou déroule une carrière aussi brillante qu’irrégulière, faite de buts historiques, de drames intimes et de cicatrices mentales jamais vraiment refermées. Formé au LOSC, buteur précoce, quadruplé record en Ligue 1, victoire contre le Manchester United de Ronaldo au Stade de France… puis descente aux enfers à Nice, exil au Qatar, aventures en Suisse, en Tunisie et renaissance sous le maillot du Congo. Aujourd’hui éducateur d’attaquants, il revient sans filtre sur ce qu’il lui a manqué pour rester au sommet : le mental, la patience… et un environnement capable de le comprendre.
Le LOSC, club de cœur et terrain de jeu
Moussilou commence “tard” à 13 ans au FC Bourget, mais tout va très vite : à 15 ans, il rejoint le centre de formation du LOSC après avoir corrigé son manque de sérieux grâce à un éducateur qui le recadre. Son talent brut fait la différence : doublés, triplés, sélection en équipe de France U16, insouciance totale et gestes d’attaquant pur, inspirés par Papin, Weah, Ronaldo R9 ou Anelka.
À Lille, il vit tout : la Gambardella au Stade de France, ses débuts pros à 18 ans à Bastia et un LOSC réputé pour sa rigueur et sa puissance physique, où il apprend la discipline sans renier son instinct de buteur. Il se souvient d’un centre structuré, d’une génération forte (avec notamment Stéphane Dumont) et d’un cadre qui lui donne confiance… mais commence aussi à canaliser ce qui faisait de lui un joueur imprévisible.
Quadruplé historique et drame intime
Le 2 avril 2005, Lille écrase Istres 8–0 en Ligue 1, et Moussilou signe un quadruplé, dont un triplé en moins de cinq minutes : un match entré dans l’histoire. Derrière cette démonstration, une blessure : quelques jours plus tôt, il a perdu Fanny, une amie proche, supportrice du LOSC, assassinée lors un banal conflit de voisinage.
Il raconte jouer “comme habité”, célébrer son premier but en lui rendant hommage puis inscrire deux autres buts en quelques secondes, avec la sensation qu’elle est à ses côtés sur le terrain. Ce jour-là, le LOSC lutte pour suivre l’OL et toute l’émotion se mélange à l’enjeu sportif : un moment de grâce, autant qu’un exutoire.
Manchester United, le Stade de France et le père qui ne venait jamais
Autre sommet : la Ligue des Champions jouée au Stade de France avec Lille. Pour la première fois, et la dernière, son père accepte de venir le voir jouer “à deux kilomètres de chez lui”, après avoir refusé pendant des années. En face, le grand Manchester United de Cristiano Ronaldo, Wayne Rooney, Ruud van Nistelrooy et Rio Ferdinand ; dans les tribunes, toute La Courneuve, venue voir “un enfant du quartier” défier l’ogre anglais.
Lille s’impose 1–0 dans une ambiance folle, Moussilou gagne ses duels face à Ferdinand et finit par échanger son maillot avec lui, symbole d’un respect gagné sur le terrain. Pour lui, c’est un sommet : Ligue des Champions, Stade de France, père présent, quartier derrière lui… et la preuve qu’il peut dominer les meilleurs.
Quitter Lille : le regret d’une vie
Après sept à huit ans au LOSC, Moussilou choisit de partir, en quête de “nouveaux objectifs” et avec l’envie de découvrir autre chose. Il reconnaît aujourd’hui que cette décision est son plus grand regret : à Lille, il avait le cadre, la confiance, les compétitions européennes et un environnement adapté à son profil.
Avec le recul, il estime qu’il aurait dû prolonger l’aventure, gagner en maturité dans ce cocon avant de tenter un nouveau défi. Il parle désormais de cette période comme du moment charnière de sa carrière : “chez soi”, l’herbe était finalement plus verte qu’il le pensait.
Nice : transfert record, poteaux et naufrage mental
Son transfert à Nice pour près de 4 millions d’euros en fait le plus gros achat de l’histoire du club à ce moment-là. Mais cette nouvelle aventure tourne au cauchemar : pression du prix, attentes du public, critiques médiatiques, et surtout une incroyable série de malchance – il affirme avoir frappé environ quinze fois les montants en quelques mois.
À l’entraînement, Hugo Lloris constate un buteur “clinique” et naturel ; en match, tout se grippe, le doute s’installe et le stade se retourne contre lui. Moussilou explique que c’est là que le mental le lâche : l’attaquant qui ne marque plus finit par se perdre, réfléchit trop, perd son instinct, et glisse dans une spirale dont il ne parvient jamais vraiment à sortir.
Saint-Étienne, OM et le clash avec Puel
Prêté à Saint-Étienne, il retrouve un peu de lumière : il se relance, marque notamment un doublé contre son club formateur, le LOSC, et sent sa confiance revenir. L’OM suit, avec une concurrence lourde (Niang, Cissé) et un contexte médiatique plus dur à gérer. Il admet qu’il manque alors de patience et enchaîne trois clubs en 18 mois, sans jamais réussir à se poser.
Moment marquant : un match avec Nice où Claude Puel le fait entrer vers la 70e minute… puis le ressort dix minutes plus tard. Dans le vestiaire, l’entraîneur le rend responsable de la défaite, le ton monte, et ils manquent de se battre avant d’être séparés par Christophe Landrin. Cet épisode symbolise pour lui le point de rupture d’une relation et d’une période déjà mentalement compliquée.
Qatar, Suisse, Tunisie : respirer et se réinventer
Usé par la pression médiatique et l’image d’un “transfert raté”, Moussilou quitte la France pour le Qatar, où il dit “respirer” de nouveau, regagner de la confiance et toucher le plus gros contrat de sa carrière. Loin des projecteurs hexagonaux, il retrouve le plaisir de jouer et un rapport plus simple au football.
La suite ressemble à une vie de globetrotter : Boulogne, Suisse, Tunisie avec le Club Africain – un club à la ferveur comparable à l’OM, dans un pays en pleine révolution. Il raconte la pression énorme, les conditions parfois difficiles en Afrique, et la nécessité d’une grande capacité d’adaptation pour performer dans ces championnats souvent sous-estimés.
Du bleu à la sélection congolaise
Après avoir connu l’équipe de France U16, Moussilou profite en 2009 d’un changement de règlement de la FIFA pour rejoindre la sélection du Congo, le pays de ses origines. Il évoque un processus administratif long et compliqué pour rendre cette dérogation effective, mais aussi la fierté d’enfin représenter les couleurs familiales.
L’expérience est courte, mais marquante : il découvre une atmosphère différente, un rapport au football et au public très intense, et inscrit même un but dès son premier match contre le Maroc. Avec le recul, il confie qu’il aurait aimé vivre cette aventure encore plus tôt dans sa carrière.
Moussilou éducateur : transmettre ce qu’on ne lui a pas donné
Aujourd’hui installé en Suisse, Moussilou est éducateur spécialisé pour attaquants. Il insiste sur les fondamentaux : qualité de frappe, appels, zones de finition, mais surtout réflexion devant le but plutôt que gestes automatiques. Il commence ses séances sans gardien, avec des repères visuels, pour obliger les jeunes à cibler et répéter les bons mécanismes en conditions simples avant de complexifier.
Surtout, il met en avant l’importance du mental et de la confiance, qu’il estime avoir manqué à son propre parcours. Il encourage ses jeunes à regarder des matches, à s’inspirer des grands attaquants (Benzema, Kane, R9, Owen, Anelka), mais aussi de joueurs “moins stars” dont les profils sont plus accessibles et reproductibles.
Un crack oublié, une leçon de fragilité mentale
Au fil de l’épisode, Matt Moussilou livre une confession lucide : talent, vitesse, appels, finition… il avait beaucoup d’armes, mais pas toujours les codes pour gérer la pression, les critiques, les transferts et l’adversité. Il parle d’un football où le travail ne suffit pas, où le contexte mental, l’encadrement et la patience sont décisifs – surtout pour un numéro 9 exposé en permanence.
Son histoire résonne comme un avertissement pour la nouvelle génération : sans mental ni compréhension mutuelle entre joueur et staff, même un crack formé au LOSC, capable d’humilier Manchester United et de signer un quadruplé historique, peut voir sa trajectoire se briser. Aujourd’hui, en accompagnant les jeunes attaquants, il essaie d’être ce repère qu’il aurait aimé avoir au plus fort de la tempête.