Dans cet épisode d’Histoire de Foot, Yoan Cardinale raconte une trajectoire à la fois lumineuse et brutale : enfant de Marseille, gardien devenu “par accident”, héros de l’OGC Nice européen, puis joueur mis à l’écart, sans club, en pleine dépression, avant de se reconstruire loin des projecteurs. Entre Air Bel, l’Allianz Riviera, les soirées avec Ben Arfa et Balotelli, les coups durs avec Lucien Favre et Julien Fournier, Cardinale dévoile les coulisses d’un poste qu’il décrit comme “le plus ingrat du foot”.
Marseille, Air Bel et un gardien “par hasard”
Né à Marseille, Cardinale grandit avec le rêve de jouer à l’OM, comme tous les gamins du coin, mais sa trajectoire prend un chemin inattendu. Il devient gardien un peu par hasard, un jour où on le met dans les cages… et où il ne les quittera plus. Très vite, il rejoint l’AS Air Bel, club marseillais réputé et scruté par les recruteurs, où il se fait un nom et attire le regard de Nice.
À Air Bel, il gagne le surnom de “Spiderman” après une série folle de penalties arrêtés : treize sur treize, de quoi marquer les esprits et solidifier son statut de portier à part. Ce passage par un club passerelle, plus qu’un centre pro, devient la rampe de lancement qui l’emmène vers la Côte d’Azur.
Nice, le centre de formation et la bascule chez les pros
Repéré par l’OGC Nice, Cardinale rejoint le centre de formation, progresse avec les U19, découvre la Gambardella puis décroche un contrat stagiaire. Il gravit les échelons, devient numéro trois puis numéro deux derrière Mouez Hassen, avec qui il partage le quotidien et une concurrence saine.
Tout s’accélère avec les blessures de Simon Pouplin, puis de Hassen, qui le propulsent titulaire plus vite que prévu. Il enchaîne les matchs en Ligue 1, commence par une victoire 4–1 contre Rennes, devient homme du match contre Lorient, et voit les journaux s’interroger : “Cardinale ou Hassen ?” Claude Puel tranche en sa faveur, lui maintient sa confiance et finit par lui faire signer un contrat pro pour “le récompenser, parce qu’il le mérite”.
Ben Arfa, Balotelli et la meilleure saison de sa vie
Au cœur de ce Nice séduisant, Cardinale vit ce qu’il décrit comme le meilleur moment de sa carrière : une saison où le club joue le haut de tableau, enchaîne les clean sheets et ne compte que deux défaites jusqu’à la 36e journée. Il est alors l’un des meilleurs gardiens en Europe en termes de statistiques, en nombre de matchs sans encaisser de but.
Dans le vestiaire, il côtoie Ben Arfa, Germain, Plea, Balotelli, Bodmer… et l’ambiance est aussi lourde en talent qu’en chambrage. Une anecdote le résume : à la mi-temps d’un match contre Caen, Ben Arfa est catastrophique ; Bodmer et Cardinale le “chauffent” dans le couloir en le traitant de nul… avant qu’il ne réponde en deuxième période par un but de classe mondiale, comme piqué dans son orgueil. Ces instants résument l’alchimie d’un groupe qui joue libéré, porté par un public et un projet européens.
Favre, la blessure et la chute invisible
L’arrivée de Lucien Favre redistribue les cartes : officiellement, le coach le désigne numéro un, mais la réalité est plus ambivalente. Les débuts sont compliqués en préparation, les résultats sont mauvais, l’équipe doute, puis un déclic survient après le tragique attentat de Nice et une victoire fondatrice contre Rennes.
Pourtant, dans le temps, la relation se tend, la confiance se fissure, et Cardinale a le sentiment que Favre “ne croit pas vraiment” en lui, ce qui entame son assurance. Puis survient la blessure : éloignement du groupe, communications floues, silence pesant du club… il explique se sentir progressivement effacé, comme si son nom ne comptait plus dans les plans sportifs.
Dépression, fin de contrat et un directeur sportif qui brise tout
La véritable rupture intervient à six mois de la fin de son contrat, alors qu’il est en discussion avec plusieurs clubs de Ligue 1 et Ligue 2. Convoqué par le directeur sportif Julien Fournier, il s’attend à clarifier sa situation ; à la place, il encaisse une décision brutale : aucune prolongation, plus aucun projet pour lui.
Il raconte cette scène comme un KO debout, avec un sentiment de trahison profonde, partagé par son père, et confirmé par un président (Jean-Pierre Rivère) qui lui confie en privé ne pas être d’accord… tout en expliquant ne pas avoir la main sur le sportif. Cet épisode l’enfonce dans une nouvelle dépression, après une première période très difficile en 2017 liée à sa blessure, et laisse une cicatrice qu’il affirme toujours ouverte aujourd’hui.
Toulon, la descente… et la survie
Sans club, avec une image de gardien “pas très grand” et un temps de jeu quasi nul depuis près de deux ans, Cardinale peine à trouver un point de chute dans le monde pro. Un transfert potentiel en Ligue 2 capote au dernier moment, lorsque le gardien en place refuse finalement de partir, et les portes se referment les unes après les autres.
Il accepte alors de signer au Sporting Toulon, en National 2, un club semi-professionnel. Il admet que ce choix revient à accepter que le monde pro s’éloigne, à rétrograder de trois divisions pour le simple fait de rejouer, de retrouver du rythme et la sensation d’être “vivant” sur un terrain.
Le poste de gardien : pression maximale et droit à l’erreur zéro
Dans l’épisode, Cardinale parle longuement de la spécificité du poste de gardien : pression constante, exposition permanente, et quasi absence de droit à l’erreur. Là où un attaquant peut rater plusieurs occasions avant de marquer, une faute de main ou une mauvaise sortie peut coller à la peau d’un portier pendant des mois.
Il explique l’impact psychologique de cette réalité : critiques médiatiques, commentaires en boucle, réseaux sociaux, doutes qui s’installent… Le gardien vit à nu, et sans accompagnement mental solide, la bascule vers l’anxiété ou la dépression est rapide.
Famille, paternité et reconstruction
Malgré la douleur de la fin à Nice, un événement vient rééquilibrer sa vie : au moment même où il apprend la décision de Fournier, il découvre quelques heures plus tard qu’il va devenir père. Cette nouvelle, dit-il, lui sauve littéralement la vie, en lui offrant un horizon plus grand que le football et une raison de continuer à avancer.
Aujourd’hui, il affirme ne faire confiance qu’à un cercle très restreint – sa fille, ses parents, son frère – et admet que la cicatrice de cet épisode n’est pas encore refermée. Mais la paternité lui donne une autre perspective, une façon de relativiser les coups durs d’un métier qui ne prépare personne à l’après.
De l’autre côté : Cardinale futur coach
Peu à peu, Yoan Cardinale se tourne vers l’idée de passer “de l’autre côté”, en devenant entraîneur des gardiens. Il explique avoir toujours observé de près le travail de ses coaches – Lionel Letizi, Nicolas Dehon ou encore ses formateurs à Nice – et être fasciné par la réflexion et l’approche spécifique que demande ce rôle.
Pour lui, accompagner des gardiens, ce n’est pas seulement corriger une prise de balle ou un plongeon, mais aussi aider à gérer la pression, le regard des autres, et ces périodes de vide que lui-même a connues. Son message aux jeunes est clair : profiter tant que ça dure, ne pas tout construire autour du foot, et anticiper l’après-carrière bien avant que le rideau ne tombe.
Entre rêves marseillais, soirées européennes avec Nice et nuits blanches à se demander “et maintenant ?”, l’histoire de Yoan Cardinale rappelle à quel point la frontière est mince entre héros d’un week-end et joueur oublié. Derrière le gardien jovial que tout le monde a connu à la télévision se cache un homme qui a payé au prix fort la violence silencieuse du football moderne… et qui tente désormais de transformer ses blessures en outils pour ceux qui arrivent derrière.